Monastère Saint-Néophyte-le-Reclus / του Αγίου Νεοφύτου του Εγκλείστου, Tala / Τάλα
L'origine du monastère remonte à l'époque byzantine. Elle est étroitement liée à Néophyte le Reclus, un Chypriote né en 1134 dans une famille modeste de Lefkara dont le mode de vie lui a permis de se faire reconnaître comme un saint local[1]. Après un pèlerinage en Terre sainte en 1158, il s’isole dans une caverne située sur le flanc escarpé du mont Mélissovouno, au nord de Paphos. Il y aménage son Enkleistra (« Lieu de réclusion »), composé d'une cellule et d'une chapelle consacrée en 1160 et dédiée à la sainte Croix. En 1170, l’évêque de Paphos, Basile Kinnamos, le persuade d’être ordonné prêtre et d’accepter un premier disciple. Dès lors, des hommes se joignent à Néophyte et une petite communauté se créé autour de sa cellule. Des travaux sont entrepris afin d’élargir la grotte pour l’aménagement de nouvelles cellules et de bâtiments communs ainsi que pour agrandir la chapelle de la Sainte-Croix. À cette occasion, une phase de décoration de la cellule de Néophyte est réalisée[2]. Cependant, c’est en 1183 que la décoration la plus importante est mise en œuvre. L’exécution des nouvelles fresques est non seulement consignée par Néophyte dans le cinquième chapitre du typikon de son monastère[3], mais aussi par le peintre, Théodore Apsevdis – « Celui qui ne ment jamais » –, qui indique son nom et la date d’achèvement de son travail dans une signature conservée sur une paroi de la cellule du reclus[4]. Cet artiste, à qui les chercheurs prêtent une origine constantinopolitaine ou tout du moins une formation effectuée dans la capitale byzantine[5], y peint un programme empreint des dernières innovations byzantines en matière d'iconographie et de style. La première Règle du monastère (typikon) est sans doute rédigée vers 1177/1187.
La conquête latine de Chypre bouleverse les conditions d’existence du monastère : le moine fondateur Néophyte rédige alors une deuxième version, sous forme de testament, en 1214. Toutefois, l’essor de l'établissement monastique se poursuit sous le règne des Lusignan et durant la domination vénitienne[6]. Pour retrouver sa solitude mise à mal par l’afflux de disciples et de visiteurs, Néophyte le Reclus entreprend en 1196-1197 l’extension de son habitat avec le creusement d’une nouvelle cellule qu’il appelle la « Nouvelle Sion », un aménagement situé plus haut dans le mont Mélissovouno. Entre 1196 et 1200[7], le naos situé en-dessous – et avec lequel la Nouvelle Sion communique par l’intermédiaire d’une petite pièce (hagiastèrion ou cellule de sanctification) percée en son sol d’une ouverture – reçoit un décor monumental. Ce programme peint répond à la nécessité d’offrir un nouvel écrin à la relique de la Vraie Croix, acquise par Néophyte au milieu des années 1160 et vénérée depuis dans le bèma de l’Enkleistra. Le style des fresques s’éloigne radicalement des compositions exécutées dans le bèma par le peintre byzantin Théodore Apsevdis quelques années plus tôt, en 1183. Il s'agit très certainement d’un choix délibéré de Néophyte qui semble avoir voulu évoquer la Terre sainte et inscrire son établissement dans la tradition du célèbre monachisme palestinien en faisant appel à un peintre originaire de Syrie-Palestine, voire à un artiste local employant des modèles proche-orientaux[8].
Le katholikon actuel du monastère Saint-Néophyte a été érigé au début du XVIe siècle, à l'est de l'ermitage. Il s'agit d'une basilique à trois nefs coiffée d'une coupole[9]. Dédié à la Vierge, il est orné d'un cycle peint partiellement conservé réalisé entre 1500 et les deux premières décennies du XVIe siècle[10]. À cette époque, le chef de la communauté n'est plus un reclus mais un higoumène qui se déplace afin de gérer les biens du monastère dans la plaine littorale de Paphos. La communauté bénéficie sans doute du patronage de riches bienfaiteurs, à l'origine de la construction du nouveau katholikon : aux lendemains de la conquête ottomane, le monastère figure parmi les plus riches de la région[11].
[1] Sur Néophyte le Reclus, voir Galatariotou 1991 ; Jolivet-Lévy 2004, pp. 44-47 ; Perdiki 2016, vol. 1, pp. 444-446.
[2] De cette campagne sont conservés des effigies de saints militaires, un portrait de saint André Salos et une Crucifixion : Mango, Hawkins 1966, pp. 177-179 ; Nicolaïdès 1993, vol. 2, pp. 3-4, 33 ; Jolivet-Lévy 2004, pp. 45, 49.
[3] Ce texte nous est connu dans sa version révisée en 1214 (Édimbourg, University Library, bibl. univ. 224 / Laing 811) : Galatariotou 2000, p. 1352.
[4] « L’Enkleistra […] fut historiée de ma propre main, moi Théodore Apsévdès en l’an 6691 (= 1183) indiction I » : traduction proposée dans Nicolaïdès 1993, vol. 2, p. 8. Voir aussi Mango, Hawkins 1966, pp. 182-183, fig. 100-102.
[5] Mango, Hawkins 1966, p. 206 ; Sophocleous 2000, pp. 309, 319 ; Jolivet-Lévy 2004, p. 45 ; Panayotidi 2004, p. 154 ; Hadermann-Misguich 2005, p. 21 ; Nicolaïdès 2012, p. 120.
[6] Galatariotou 2000, pp. 1338-1339 ; Coureas (éd.) 2003, pp. 131-168.
[7] La date précise de la réalisation de ce décor est sujette à controverse étant donné que deux sources se contredisent : l’inscription peinte sur la paroi sud-ouest du naos à l’occasion d’une restauration entreprise en 1503 relate que cet espace a été aménagé et décoré par Néophyte le Reclus en 1196 (Mango, Hawkins 1966, p. 140, fig. 15, 17) tandis que, dans son typikon, Néophyte le Reclus signale que son ermitage est entièrement peint en 1183 (Galatariotou 2000, p. 1352). Pour la bibliographie antérieure et une présentation des hypothèses divergentes des chercheurs, voir Nicolaïdès 1993, vol. 2, pp. 32-33.
[8] Meyer-Fernandez à paraître, avec la bibliographie antérieure.
[9] Papacostas 2013 ; Kaffenberger 2020, vol. 2, n° 239, pp. 441-446.
[10] Mango, Hawkins 1966, p. 203 ; Stylianou, Stylianou 1997, pp. 369–381 ; Constantinides 2007, p. 109.
[11] Voisin à paraître ; Θεοχαρίδης 2021, pp. 111-112.
Constantinides, Efthalia. Images From the Byzantine Periphery: Studies in Iconography and Style. Leyde : Alexandros, 2007.
Coureas, Nicholas (éd.). The Foundation Rules of Medieval Cypriot Monasteries: Makhairas and St. Neophytos. Nicosie : Cyprus Research Centre, 2003.
Galatariotou, Catia. The Making of a Saint: The Life, Times and Sanctification of Neophytos the Recluse. Cambridge, New York, Port Chester : Cambridge UP, 1991.
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Read online : http://archive.org/details/thomas-hero-b...
Hadermann-Misguich, Lydie. « Le temps des Anges », dans : Le Temps des Anges : recueil d’études sur la peinture byzantine du XIIe siècle, ses antécédents, son rayonnement, Bruxelles : Livre Timperman, 2005, pp. 17-39.
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Read online : https://www.jstor.org/stable/1291245...
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