Église de la Sainte-Trinité / της Αγίας Τριάδας, Kranidi / Κρανίδι
L'église de la Sainte-Trinité à Kranidi, dans la partie orientale de l’Argolide, a été fondée et ornée en 1244 grâce au kyr Manuel Mourmouras, sa femme Theodora et leurs enfants, comme l'indique l’inscription dédicatoire, peinte sur le mur sud du naos, au-dessous de la fenêtre[1]. Le ktitor a été identifié l’un des archontes byzantins du Péloponnèse qui, d’après la Chronique de Morée[2], se sont livrés volontairement aux Francs en échange de leur liberté religieuse et du maintien de leurs propriétés[3]. En effet, son patronyme trahit un ancrage local et un lien probable avec le nouveau pouvoir instauré par les Latins. Des toponymes péloponnèsiens, attestés dès l’époque franque, ont été rapprochés du nom du fondateur de l’église de Kranidi[4]. Dans plusieurs sources textuelles relatives au régime seigneurial de la principauté d’Achaïe vers le milieu du XIVe siècle[5], des Mourmouris apparaissent, parmi d’autres familles d’origine byzantine, comme "des Grecs ralliés aux Francs", pour reprendre l’expression de Jean Longnon et Peter Topping[6]. Des éléments visibles dans l’église de Kranidi renforcent l’identification de Manuel Mourmouras à un archonte local. Le terme de "kyr", qualifiant ce dernier dans l’inscription dédicatoire, suggère un statut socio-économique éminent. Pour orner sa fondation pieuse, le ktitor fait appel à un peintre athénien : un certain Ioannis, qui dans l’inscription dédicatoire, mentionne sa ville d’origine en des termes élogieux : "μεγαλοπόλεως Ἀθηνῶν" ("la grande cité d’Athènes")[7]. Or, à l’époque de la fondation de la Sainte-Trinité, l’Argolide appartient à Othon II de La Roche, seigneur de Ray, dont le frère, Guy, gouverne Athènes. En 1251, Othon cède ses terres de Grèce à Guy[8]. Néanmoins, si Manuel Mourmouras fait certainement partie des anciens archontes byzantins du Péloponnèse entrés au service des Francs, il a manifestement gardé son identité orthodoxe, contrairement à ce qui a été avancé[9]. En effet, comme l’a relevé Antoine Bon, la Sainte-Trinité de Kranidi ne présente aucun élément suggérant une appartenance au rite romain[10]. Elle reflète, au contraire, la volonté du commanditaire de poursuivre la tradition byzantine et de l’adapter à son époque. Si les fresques s’inscrivent dans la longue tradition byzantine, le peintre Ioannis emploie un style situé à la charnière de deux courants picturaux. De plus, l’architecture du monument est tout à fait novatrice : il s’agit de la plus ancienne église de Grèce connue à transept voûté (σταυρεπίστεγοι) de type simple, un plan architectural qui devient commun à partir du XIIIe siècle[11].
[1] Sur cette église peinte, voir Kalopissi-Verti 1975. Sur son inscription dédicatoire, voir plus précisément Kalopissi-Verti 1992, no A16, pp. 64-65, fig. 28, avec la bibliographie antérieure.
[2] Bouchet (éd.) 2005, pp. 88, 90, 92-96. Pour la Chronique de Morée, récit relatant la conquête franque du Péloponnèse et le premier siècle de l’histoire politique de la principauté d’Achaïe, voir la notice qui lui est dédiée.
[3] Σωτηρίου 1926, p. 194, n. 2 ; Bon 1969, p. 115 ; Kalopissi-Verti 1992, no A16, p. 34, 64 ; Kalopissi-Verti 2015, p. 412.
[4] Kalopissi-Verti 1975, p. 4, 12, n. 16.
[5] Deux actes de donation à Niccolò Acciaiuoli mentionnent Johannes Murmurus, protovestiaire de la principauté (10 mai 1337), puis maître massier de la châtellenie de Kalamata (16 juillet 1338). Georgius Murmuru, qui semble être le trésorier de la châtellenie de Kalamata, est cité dans un rapport, achevé à la fin janvier 1361, de Nicolas de Boiano sur les biens de Marie de Bourbon, femme de Robert de Tarente, à qui son mari avait donné en douaire la châtellenie de Kalamata et qui avait acquis les baronnies de Vostitsa et de Nivelet. Enfin, un inventaire, dressé en 1354, des biens féodaux de Niccolò Acciaiuoli en Morée précise que son vassal Goti Murmuru fait partie de la classe privilégiée des incosati, Grecs libres de redevances et d’obligations envers le prince, en échange du service en armes : Longnon, Topping 1969, doc. II, p. 33, l. 8-9, p. 35, l. 38, p. 52, l. 15, doc. III, p. 57, l. 10-11, doc. IV, p. 83, l. 4-5, doc. VIII, p. 151, l. 2. Sources citées dans Kalopissi-Verti 1975, pp. 3-4. Sur les incosati, consulter Longnon, Topping 1969, pp. 10, 264-265. Sur la possibilité que le protovestiaire Johannes Murmurus soit le descendant du fondateur de la Sainte-Trinité à Kranidi, voir aussi Shawcross 2010, p. 14.
[6] Longnon, Topping 1969, p. 3, n. 3.
[7] Kalopissi-Verti 1975, pp. 3-4.
[8] Longnon 1973 ; Papadia-Lala 2015, p. 120.
[9] Bon 1969, p. 115, n. 5 ; Jacoby 1979, p. 898.
[10] Bon 1969, pp. 487-488.
[11] Kalopissi-Verti 1975.
Bon, Antoine. La Morée franque : recherches historiques, topographiques et archéologiques sur la principauté d'Achaïe (1205-1430). Paris : De Boccard, 1969.
Voir en ligne : https://cefael.efa.gr/detail.php?site_id...
Bouchet, René (éd.). Chronique de Morée. Paris : Les Belles Lettres, 2005.
Jacoby, David. « The Encounter of Two Societies: Western Conquerors and Byzantines in the Peloponnesus after the Fourth Crusade », dans : Recherches sur la Méditerranée orientale du xiie au xve siècle : peuple, sociétés, économies, Londres : Variorum Reprints, 1979, pp. 873-906.
Kalopissi-Verti, Sophia. Die Kirche der Hagia Triada bei Kranidi in der Argolis (1244). ikonographische und stilistische Analyse der Malereien. Munich : Institut für Byzantinistik und neugriechische Philologie der Universität, 1975.
Kalopissi-Verti, Sophia. Dedicatory Inscriptions and Donor Portraits in Thirteenth-Century Churches of Greece. Vienne : Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 1992.
Kalopissi-Verti, Sophia. « Monumental Art in the Lordship of Athens and Thebes under Frankish and Catalan Rule (1212-1388): Latin and Greek Patronage », dans : Tsougarakis, Nickiphoros I. et Lock, Peter (éd.), A Companion to Latin Greece, Leyde, Boston (Mass.) : Brill, 2015, pp. 369-418.
Longnon, Jean et Topping, Peter. Documents sur le régime des terres dans la principauté de Morée au XIVe siècle. Paris, La Haye : Mouton, 1969.
Longnon, Jean. « Les premiers ducs d'Athènes et leur famille », Journal des Savants, 1973, vol. 1, pp. 61-80.
Voir en ligne : https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_...
Papadia-Lala, Anastasia. « Society, Administration and Identities in Latin Greece », dans : Tsougarakis, Nickiphoros I. et Lock, Peter (éd.), A Companion to Latin Greece, Leyde, Boston (Mass.) : Brill, 2015, pp. 114-144.
Shawcross, Teresa. « The Lost Generation (c.1204-c.1222): Political Allegiance and Local Interests under the Impact of the Fourth Crusade », dans : Herrin, Judith et Saint-Guillain, Guillaume (éd.), Identities and Allegiances in the Eastern Mediterranean after 1204, Farnham : Ashgate, 2010, pp. 9-46.
Σωτηρίου, Γεώργιος A. « Ή Άγια Τριάς Κρανιδίου (Βυζαντινον ναυδριον ιδρυθέν τω 1245) », Επετηρίς Εταιρείας Βυζαντινών Σπουδών, 1926, vol. 3, pp. 193-205.
Voir en ligne : https://ir.lib.uth.gr/xmlui/bitstream/ha...